Ainsi finit le premier Retour à La Base…
Jusqu’au bout, ils auront fait les choses à merveille. Comme un scénario idéal, le dernier des Mohicans - et quel Mohican ! - a fait son entrée lundi 18 décembre dans le port de Lorient et achevé son périple personnel, quelques heures seulement après une remise des prix où la performance a été récompensée autant que la résilience et l’esprit de camaraderie.
Il y avait un petit air mystique, passé minuit sur les pontons lorientais. Il faut imaginer une centaine de personnes, massées par grappes sous les lampadaires blanchâtres, cherchant un tant soit peu de chaleur en attendant qu’une coque sombre ne fende la rade transformée en miroir. Et quand enfin elle finit par surgir, il y a comme une hésitation : on a envie d’applaudir, de crier, mais on reste figés. Ce n’est que quand le pilote de ladite coque, boucles folles et traits tirés, lève enfin la tête de sa manœuvre et s’étonne d’un sonore « Ah vous êtes là ? », que le fracas des acclamations s’élève dans la nuit. Jean Le Cam (Tout Commence en Finistère - Armor-Lux) est arrivé à bon port, après avoir franchi la ligne de son Retour à La Base à 22h37, lundi 18 décembre, en 32e position.
Parti six jours après le gros de la flotte sur son bateau flambant neuf convoyé spécialement pour le Retour à La Base, le doyen de cette transatlantique aura vécu de bout en bout un exercice en solitaire. Mis à mal par une météo plus chahutée, il aura aussi, de son propre aveu, beaucoup douté. « À un moment je pensais que ça n’allait jamais le faire. Au final, le bateau m’a dit : “Mais si, tu peux le faire”. L’être humain est foutu comme ça : il voit le pire tout le temps. Mais tout se passe toujours mieux qu’on le pense. Et une nouvelle fois, ça l’a fait ! »
En achevant sa course en 18 jours 5 heures 37 minutes 24 secondes (à partir du départ officiel du 30 novembre), après avoir réellement passé 12 jours 4 heures 55 minutes et 27 secondes en mer, Jean Le Cam se rapproche de son objectif : la qualification pour un sixième départ de Vendée Globe. Et poursuit la découverte de cette nouvelle monture aux courbes généreuses et aux dérives droites, sur laquelle l’expérimenté marin a livré ses premières impressions au ponton. « Il m’a surpris, c’est sûr que je ne connais pas de vitesse comme ça, on a fait des pointes à 28 nœuds, des moyennes à 22-24 nœuds, ça va vite ! », s’est exclamé le Finistérien, qui s’est décrit « dans un état second ». Avant de conclure : « J’ai toujours trouvé qu’on avait des bateaux très compliqués pour faire le tour du monde, on est dans l’extrême total ! »
Transatlantique sans abandon
L’extrême, c’est aussi ce qu’ont vécu et décrit, tout au long de la soirée de remise des prix de cette première édition du Retour à La Base, ses compagnons d’aventure. Tour à tour, ils ont livré quelques-uns de leurs ressentis sur la scène du K2 pour cette cérémonie lancée par Jean-Philippe Cau, président de l’association Lorient Grand Large, organisatrice de l’événement. « D’un point de vue sportif, j’y croyais fortement, mais quand on voit le résultat, je suis presque ému », a expliqué le chef d’orchestre, remerciant toutes les équipes ayant œuvré en coulisses, dont la soixantaine de bénévoles lorientais mobilisés pendant toute la durée des festivités.
« C’était une transat difficile, mais ils sont tous rentrés à La Base et ça nous rend forcément heureux », a souligné le directeur de course, Hubert Lemonnier. De mémoire de passionnés, c’est en effet la première transatlantique en solitaire sans abandon de la classe IMOCA ! « Et pourtant, on a eu notre lot d’épreuves : de la dengue, des chutes, un démâtage, des voiles déchirées, des conditions dures… c’est un bon apprentissage pour nous tous », a conclu celui qui, dans moins d’un an maintenant, veillera sur les marins du Vendée Globe.
« L’enseignement de ce Retour à La Base, c’est ce changement de dimension dingue et le niveau d’exigence de nos bateaux », a ainsi abondé Louis Burton (Bureau Vallée), septième de la course, qui, malgré sa longue expérience, « reste scotché par cette traversée en 9 jours, là où, il y a encore dix ans, on mettait au moins trois jours de plus à traverser. » Un avis partagé par le grand gagnant de la soirée, Yoann Richomme (Paprec Arkéa), « immensément fier » de remporter ce Retour à La Base, reconnaissant que « vu le niveau sportif et technologique, la moindre erreur est interdite ».
Mais c’est justement dans ce challenge et cette adversité que les marins du Retour à La Base ont, paradoxalement, trouvé aussi ce « plaisir » décrit à l’unisson ! Celui d’une Isabelle Joschke (MACSF) faisant part de « son bonheur fou de retrouver le solitaire » ou d’une Samantha Davies (Initiatives Coeur) parlant de sa « joie d’être à la hauteur de cette machine folle ». « Nous sommes en train d’écrire une histoire dingue », a lancé sur scène Damien Seguin (Groupe Apicil).
Prix de la combativité et IMOCA en chocolat
Car au-delà des performances individuelles, c’est bien aussi une aventure collective qui a été célébrée lundi soir à Lorient. Récompensé par le prix de la combativité délivré par la marque textile Mousqueton, partenaire officiel du Retour à La Base, Tanguy Le Turquais (Lazare) a ainsi rappelé que son « scénario fantastique » n’est pas le seul.. « Derrière chaque bateau, il y a une belle histoire, des équipes qui travaillent dur, ne les oublions pas », a lancé le skipper lorientais, parti 28 heures après la flotte et auteur d’une magnifique “remontada” jusqu’à la vingtième place. « C’est la magie de notre sport, rien n’est jamais écrit à l’avance », a conclu le skipper de 34 ans, monté sur scène avec sa fille, « sa motivation », dans les bras.
Et cette si belle flotte IMOCA a aussi à cœur d'œuvrer pour une plus grande cause que son seul sport ! « Par votre performance, vous avez montré que l’avenir du transport maritime doit passer par la voile », a ainsi rappelé Louis Mayaud, chef de projet de l’entreprise partenaire Belco, dont les marins du Retour à La Base transportaient chacun 23 kilogrammes de fèves de cacao à leur bord, qui deviendront plus de 400 tablettes de chocolat…
Et quelle meilleure manière de montrer que transport à la voile peut rimer avec vitesse, que de délivrer le prix Belco à Thomas Ruyant (For People), qui aura profité de cette transatlantique retour pour établir un nouveau record de distance en solitaire sur un monocoque : 539,94 milles marins (999,96 km) en 24 heures ! « C’est un plaisir d’avoir fait cette course et ramené vos fèves de cacao à Lorient », a réagi le skipper nordiste, recevant au passage un magnifique IMOCA en chocolat réalisé par Criollos chocolatier.
« La course de référence pour Lorient »
Des performances mais aussi des moments de joie et de partage qui, tout au long de l’épreuve, ont permis aussi de faire rayonner des territoires : celui de la Martinique et du Morbihan. « C’est important pour nous d’accompagner la course au large et surtout les valeurs qu’elle défend, a ainsi rappelé le conseiller départemental du Morbihan Stéphane Lohezic. Ce n’est pas dans tous les sports qu’on entend autant de respect entre les concurrents et pour les équipes qui travaillent derrière dans l’ombre ».
Une solidarité et une humilité qui expliquent aussi la popularité grandissante de ce sport qui fait naître tant d’émotions ! Preuve en est cette foule qui a bien souvent envahi les pontons lorientais, à toute heure du jour et de la nuit, pour accueillir les marins du Retour à La Base, ou participer aux différentes animations organisées, à commencer par les centaines de scolaires venus échanger avec les skippers. Pour Fabrice Loher, maire de Lorient et président de Lorient Agglomération, « ce succès populaire marque un avant et un après pour la ville ». Et l’élu de conclure cette belle cérémonie : « On cherchait la course de référence pour Lorient, je crois bien qu’on l’a trouvée ! » Alors, rendez-vous dans deux ou quatre ans ?