Message d'Alan Roura - Hublot : Jour 6
Traverser l’Atlantique Nord en hiver n’est pas toujours une partie de plaisir. Au moment où j’écris ces quelques lignes, je suis affalé dans mon siège après une grosse manœuvre. Tout a commencé quand, en début de nuit, le mode vent du pilote (qui permet de suivre les bascules du vent sous pilote automatique : très, très, très utile pour la performance) a décidé de ne plus marcher.
J’ai donc appelé Pierre, notre responsable systèmes embarqués à 3h du matin, afin de lui faire part de mes problème. On a passé une heure à essayer de comprendre, à tester différentes choses, mais rien n’y a fait. Il va falloir continuer en mode « compas », qui vise un point sans prendre le vent en compte… Je connais bien ce mode, j’ai fait tout mon premier Vendée Globe comme ça. Mais entre Superbigou et Hublot, il y a une « petite » différence de vitesse… Hublot décolle et va clairement plus vite. Je me fais donc à l’idée de passer le reste de cette course avec la télécommande à la main, tout en sirotant un petit Coca chaud, quand tout à coup mon cher pilote décide de tirer la barre en grand et part à l’abatée ! Un départ à l’abatée, c’est un empannage qui n’était pas prévu, donc toutes les voiles sont à contre, dans environ 25 noeuds de vent au pifomètre. Et toi, tu te fais projeter de l’autre côté du bateau sans savoir pourquoi et c’est le dos qui t’arrête ! Un bonheur !
Là, tu comprends très vite qu’il ne faut pas faire de bêtise, sinon c’est vite la grosse galère. Après quelques minutes, je suis super fier de moi : j’ai remis le bateau sur la bonne route, je borde mon petit gennaker, je mets un coup de projecteur histoire de voir mes réglages et là…. Là, tu n’as qu’une envie c’est de pleurer un bon coup. Tu as une déchirure qui fait une espèce de croix de 3 mètres de diamètre. Ça y est, tu as explosé une voile petit Roura. Une voile d’occasion, rachetée cet été, spécialement pour cette course.
Alors je roule la voile, je me pose dans le siège et les larmes montent vite aux yeux. C’était LA voile pour cette course. Et voilà que le pilote refait la même. Je récupère à temps la barre du bateau, je reste sous J2, GV haute. Mais là, tu es en mode croisière si tu fais ça ! C’est comme partir aux 24h du Mans avec des pneus de 4x4. Ça roule, mais tu es collé à la piste ! Moralement c’est un coup dur, j’ai perdu beaucoup de terrain pendant la nuit et ça m’énerve ! Mais soit tu restes les bras croisés à pleurer car tu n’as plus la voile qui va bien et le pilote magique, soit tu essayes un autre mode de navigation. Ne me restait qu’une solution : remettre une voile sur le bout dehors pour avancer et ne rien lâcher. Alors j’ai prié pour que le pilote arrête de faire des conneries, j’ai tombé le petit gennak’ sur le pont et renvoyé le Code 0. Et j’ai pris un petit ris histoire de ne pas plier le mât, ce serait dommage…
On nous demande à quoi ressemble une journée type à bord. En voilà une typique de galères ! Physiquement ça va, je vais faire attention de ne pas aggraver la situation. Un petit café histoire de rester éveillé pour surveiller le pilote, un petit antidouleur, un carré de chocolat en pensant à Koster et c’est reparti ! Depuis le départ je donne tout pour rester collé au bon groupe, je n’ai vraiment pas envie de le perdre maintenant.