20231124 RLB MARTINIQUE AB DJI 0289 HR

Il y aurait presque un petit air de quai de métro à l’heure de pointe. Vers 6 h du matin, à l’heure où rougit le rocher du Diamant, c’est une fourmilière qui prend vie sur les pontons de Fort-de-France. Partout, les silhouettes encore un peu chargées de sommeil se hissent à bord des bateaux, les bras lourds d’enchevêtrements de cordages, boîtes à outils et autres pompes à vide. C’est que se lance ici une double course contre-la-montre : celle, quotidienne, qui les oppose à l’implacable soleil antillais transformant les cockpits en sauna lapon, et la seconde, cruciale, qui se joue contre la redoutable job-list.

La Transat Jacques Vabre, bien que raccourcie à cause des conditions météorologiques qui en ont retardé le départ, a laissé son lot de stigmates. Dans la tête et le corps des marins qui viennent de la vivre, bien sûr, mais aussi plus pragmatiquement sur leurs montures. Alors voilà les équipes de soignants d’un genre un peu particulier chaudement débarqués de l’avion. Nulle blouse nécessaire pour opérer ici, mais mateloteurs, électroniciens, stratificateurs, ou encore voiliers pansent progressivement « les petits et gros bobos » de l’aller, avant la date fatidique du jeudi 30 novembre, date de départ de la course retour de cette fin d’année : le Retour à La Base.

63 kilos de grand-voile

Sur le premier ponton, ça pousse et ça souffle fort. Marchant en crabe, ils sont trois à porter un « petit colis » de 63 kilos et d’un bon 8 mètres de long. À l’intérieur ? La nouvelle grand-voile de l’IMOCA Groupe Dubreuil, victime d’une spectaculaire déchirure lors de l’option nord bien engagée de son skipper, Sébastien Simon.

Enfin, « nouvelle », c’est un peu vite dit. « On a racheté l’ancienne grand-voile du bateau aux propriétaires précédents, 11th Hour, qui était stockée dans un container à Quimperlé, explique Marion, team manager de l’équipe du skipper vendéen. Dans notre malheur, on a eu de la chance d’avoir cette solution simple. On a eu le temps de la faire peindre en noir, mais pas de la marquer à nos couleurs, on sera donc en mode furtif sur ce retour. » Le fait d’avoir comme partenaire la compagnie aérienne Air Caraïbes a aussi « bien simplifié l’aspect logistique », reconnaît avec un peu de soulagement la responsable de cette équipe qui a fait venir ses cinq techniciens et ses trois fonctions support à Fort-de-France. « On est une petite équipe, composée en août seulement, donc des moments commando comme ça comptent beaucoup pour apprendre à travailler efficacement ensemble. »

20231124 RLB MARTINIQUE AB  72A9348 HR
© ANNE BEAUGE

« On savait qu’on aurait du travail à l’arrivée »

Sur le ponton suivant, il y a aussi de l’activité à bord de Paprec Arkéa, mais la tâche est plus minutieuse que de la manutention. Alors que la température commence à monter, Damien dépose les tissus de carbone sur une zone stratégique du bateau, qui a montré quelques signes de souffrance à l’aller. Le bateau, mis à l’eau il y a sept mois seulement, a forcément éprouvé sa structure sur cette première transatlantique tonique, qu’il achève sur une prestigieuse deuxième place avec son skipper Yoann Richomme. « Pour faire un bon résultat, il fallait y aller fort. On savait qu’on aurait du travail à l’arrivée », confirme le stratificateur, qui a quand même glissé un maillot de bain dans sa valise, « au cas où on fait un beau chrono, nous aussi, sur la réparation ».

C’est justement dans cette tenue que derrière la jetée de béton, la plongeuse mandatée par l’équipe Hublot s’élance. Pour la note artistique, on repassera, mais pour l’efficacité de la mission, on peut difficilement faire mieux. En 30 minutes, voilà la coque du bateau noir d’Alan Roura parfaitement frottée. Il faut dire que la température de l’eau donne davantage envie de soigner le travail que lors des plongées dans le port de Lorient. Et que le carénage est d’autant plus crucial sur cette période que l’eau chaude favorise l’implantation des micro-organismes sur les coques des bateaux.

« Des derniers jours qui seront bien sportifs »

Au chevet du patient Devenir, l’IMOCA de Violette Dorange, Camille, tête baissée et visage concentré, prussique une drisse. La mateloteuse bretonne, expatriée depuis deux ans dans les îles antillaises, a été recrutée sur les pontons de Fort-de-France pour renforcer l’équipe de Port-La-Forêt, qui, même sans avarie majeure à bord du bateau, a « une bonne série de petites lignes à rayer avant de pouvoir reprendre la mer sereinement ». Surtout qu’il faut, autant que faire se peut, préparer le bolide pour une navigation en solitaire – une première pour la navigatrice à sa barre.

Pour cela, rien ne vaut un petit tour en mer, pour s’assurer que tout fonctionne. Voilà d’ailleurs Charal qui revient s’amarrer, après une sortie express dans la baie de Fort-de-France. Motus et bouche cousue sur la nature des expérimentations menées à bord – on respecte ici scrupuleusement le secret médical ! Mais l’équipe est confiante sur la brièveté de la convalescence : « On sera prêts à prendre notre revanche », lance bravache un membre de l’équipe !

20231124 RLB MARTINIQUE AB  72A9308 HR
© ANNE BEAUGE

Enfin, il y a la « salle d’attente » du village, en haut des pontons, où l’on croise les désœuvrés. Vendredi matin, il y avait encore cinq bateaux en mer, dont le malheureux équipage de Lazare, victime d’une collision avec un OFNI dès le premier jour de course, et reparti à l’assaut de l’Atlantique après un chantier d’une semaine de reconstruction rondement mené ! Leur arrivée ? « Ça oscille entre le 28 et le 29, en fonction de la pétole qu’ils auront », lance Axel, préparateur de l’équipe et seul sur place pour l’heure. « Ça m’a permis d’anticiper les besoins, j’ai pu identifier un fournisseur local pour une casse qu’on a à bord et qui va demander un approvisionnement spécifique. C’est pratique au final car ici, les délais sont toujours un problème ! », explique le technicien, qui en profite aussi pour « se reposer en vue des derniers jours qui seront bien sportifs ».

Dès ce week-end, il devrait être rejoint par le reste de l’équipe, qui a justement décalé ses billets d’avion pour « pouvoir prendre un maximum de matériel dont on pourrait avoir besoin jusqu’au dernier moment ». En attendant, et parce que l’inactivité est quand même une anomalie pour ces accros de la technique et de l’adrénaline, Axel en profite aussi pour donner un coup de main à un autre bateau qui a connu quelques déboires…. « Mais un Class40, il ne faut pas non plus trop aider la concurrence, qui a déjà bien pris de l’avance ! »