Face à l’adversité, éclopés et méthode Coué
· Yoann Richomme, décalé sur une route plus ventée au Nord, solide leader à mi-parcours
· Au lendemain de son record de distance sur 24 heures en monocoque en solitaire, Thomas Ruyant victime d’une avarie majeure
· Les petites et grosses avaries se multiplient dans la flotte, toujours attendue à partir de samedi 9 décembre à Lorient
S’il n’y avait que des jours heureux où l’on glisse comme une inarrêtable savonnette lancée à vive allure, où les vagues sont si rangées qu’elles semblent avoir suivi les leçons de Marie Kondo, où le bateau, heureux et chantant, ne donne pas l’impression à chaque seconde d’être au bord de l’implosion, et où, ô joie, on est tombés dans le sac d’avitaillement sur son lyophilisé préféré… est-ce que la course au large aurait autant de saveur ?
C’est souvent dans l’adversité que les marins révèlent ce qu’ils ont de plus solides, et de leurs extraordinaires galères de chemin que naissent les plus belles histoires de pontons. Au sixième jour de course de ce Retour à La Base, quasiment à mi-parcours, les aléas commencent forcément à se multiplier, avec plus ou moins de conséquences pour les humains et leurs montures…
L’exploit de dengue
Ce n’est assurément pas Antoine Cornic (Human Immobilier) qui dira le contraire, lui qui se bat contre la dengue depuis le deuxième jour de cette course qu’il n’est pas prêt d’oublier… Il faut lire ses mots du bord pour comprendre l’exploit que le skipper rochelais est en train d’accomplir, lui qui se décrit comme « un bout de chiffon posé sur le dossier de la chaise : sans force et lessivé. »
« J'ai pleuré de douleur, j'en ai même vomi », raconte le fiévreux après son dernier envoi de gennaker, alors qu’il ne peut s’alimenter que de sucre et de citron… Y-a-t-il encore un pilote dans l’IMOCA ? Plus vraiment, alors le voilà à user de la bonne vieille méthode Coué, et placer son espoir dans son seul compagnon, cette brave bête qui continue à filer plein Est vers Lorient. « Un bateau, quand tu lui donnes de l'amour, il renvoie l'ascenseur alors je suis sûr qu'il ne va pas me laisser tomber », écrit Antoine Cornic, qui, décidément pas rancunier, prend même le temps d’« embrasser la mer pour nous ».
Décidément, ce Retour à La Base n’est pas tous les jours carnaval de Dunkerque et le lendemain dimanche ! Quelques heures après avoir fait voler en éclats le record de distance parcourue en 24 heures en monocoque en solitaire (539,94 milles), Thomas Ruyant (For People) a subi un dur retour de bâton, avec une avarie de son système de safrans, suivie d’une déchirure de sa grand-voile dans la foulée. Envolés, les espoirs de remporter une quatrième transatlantique consécutive, il est l’heure pour le Nordiste de s’assagir, et rentrer au stand en évitant le suraccident.
Le doigt sur la couture
Car l’Atlantique Nord, tout conciliant qu’il soit pour les laisser passer, ne fait pas franchement dans la dentelle ! À bord, tous les marins témoignent des conditions difficiles, et les garde-robes en sont les principales victimes. Les faux plis s’accumulent ainsi pour Guirec Soudée (Freelance.com), actuellement en 21e position, qui a vu d’abord son grand spi partir en lambeaux lundi... Deux heures de travail auront été nécessaires pour récupérer la voile gorgée d'eau à bord, à la force des bras, et couper l’amure. Las, mardi, c’est sa grand-voile qui s’est déchirée sur tout son travers, juste en dessous du ris 3 !
Pour Alan Roura (Hublot), c’est le gennaker qui a rendu l’âme dans la nuit, quand Sébastien Marsset (Foussier - Mon Courtier Énergie) n’avait plus que ses yeux pour pleurer lui aussi son grand spi. Du côté de Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence), c’est la bosse de ris qui l’a lâchée, laissant la fanatique des pamplemousses avec une grand-voile bloquée en version réduite… Pas de doute, c’est ce qu’on appelle se faire battre à plates coutures par l’océan !
Le verre à moitié plein
Heureusement, les bobos signalés à bord ne mettent pas en péril l’intégrité des marins. Même touché par une entorse au doigt depuis samedi, Damien Seguin (Groupe APICIL) continue ainsi de mener de main de maître sa monture, occupant actuellement la 9e place au classement général !
On ne se laisse pas abattre non plus du côté de Szabolcs Weöres (New Europe), qui pousse même la prouesse à voir du positif dans le négatif ! Victime d’un choc avec une bouée météorologique au deuxième jour de course, le Hongrois a constaté les dégâts sur la dérive, avant… de la voir se casser complètement ! « Je ne vais de toute façon pas en avoir besoin dans les prochains jours puisque nous sommes au portant, alors autant me réjouir d’avoir maintenant un bateau un peu plus léger », écrit avec humour le skipper des Sables d’Olonne.
Voir le verre à moitié plein malgré les pépins, voilà ce à quoi s’emploie le gros de la troupe. Car un Jérémie Beyou (Charal), même diminué par une casse de girouette et des problèmes de pilote automatique, reste un Jérémie Beyou… Actuellement en deuxième position, il continue sans vergogne de faire pression sur le leader, Yoann Richomme (Paprec Arkéa), qui a pris un coup d’avance en se décalant sur une route bien ventée au Nord !
Seuls face à leur destin
Tous désormais bien seuls face à leur destin, les marins du Retour à La Base retrouvent tour à tour l’intense satisfaction du dépassement de soi. « Je me sens bien à bord de mon bateau en solitaire. J’appréhendais, mais finalement je suis à l’aise », se réjouit d’ailleurs Violette Dorange (Devenir), l’impressionnante benjamine de la course, deuxième des bateaux à dérives derrière Benjamin Ferré (Monnoyeur – Duo For a Job), qui a célébré sa prise de pouvoir avec un joli déhanché inspiré par la rythmique visionnaire de Ray Charles…
À bord de son IMOCA Fortinet - Best Western, Romain Attanasio a d’ailleurs eu une bonne piqûre de rappel que le solitaire a du bon, et qu’il faut le savourer. Croisant la route d’un cargo au milieu de l’Atlantique, il a été obligé de se mettre plein vent arrière, quasiment à l’arrêt, pour le laisser passer… « Il n’a pas voulu bouger ni sa trajectoire, ni sa vitesse, pas très sympa mec ! »
Heureusement qu’il y a la beauté des paysages pour compenser les petites mesquineries de l’humanité ! On vous l’avoue, on est un peu « lost in translation » quand Jingkun Xu nous partage son China Dream, mais à voir ses bras qui se lèvent en même temps que son visage serein qui bascule en arrière pour profiter des premiers rayons du soleil, on se dit que le plaisir ne connaît vraiment pas la barrière de la langue…
Et à l’unisson de Sam Goodchild (For The Planet), qui continue d’impressionner en tête de flotte pour sa première cavalcade solitaire en IMOCA, on se dit nous aussi que « la planète est beau », notamment quand elle est vue à travers les yeux de nos aventuriers qui, tous, auront mille histoires à nous raconter une fois arrivés au ponton.