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Bien malheureux celui qui s'aventure à Lorient et demande à un passant la direction du port, car il se verra prestement répondre « Lequel ? » avec une pointe d’amusement. Six ports : voilà ce qui fait de la ville morbihannaise un endroit unique en France, concentré d'activités maritimes à nul autre pareil, où se nouent bien des attaches.

Keroman, bastion militaire aux mille visages

C’est souvent la première image qu’on se fait de Lorient. Celle des livres d’histoire, en noir et blanc, de gigantesques cubes en béton, éventrés par les bombardements - 4 000 tonnes de bombes entre les seuls mois de janvier et février 1943. La base de sous-marins de Keroman, construite en 1941 par les Allemands pour installer leurs dévastateurs U-boots, et cible du pilonnage de l’aviation britannique, est pourtant loin d’être la première trace de la présence militaire dans ce repli de mer, protégé des menaces de l’océan. 

De l’arsenal royal…

Succédant à la Compagnie des Indes, l ’arsenal de l’armée royale s’y implante en 1778, le long du Scorff, à cheval entre Lorient et Lanester. Le roi avait en effet décidé d’y racheter - pour 17 500 000 livres tournois, soit quelque 312 000 de nos euros actuels - les chantiers navals pour la construction de ses navires de guerre, signe de l’intérêt stratégique du lieu. 

Un certain soulèvement populaire, un 14-Juillet à la Bastille, vient bousculer l’équilibre. Lorient est l’une des rares villes du Morbihan à soutenir la Révolution, sous l’influence des nombreux ouvriers de la construction qui se soulèvent. La ville est instituée port militaire en 1791, et une centaine de nouveaux vaisseaux militaires y voient le jour en moins de vingt ans. 

… au laboratoire de construction militaire

Les progrès techniques métamorphosent le site, auquel s’ajoutent un, puis deux radoubs, ces bassins qui permettent de mettre les bateaux à sec pour entretien. C’est à Lorient que naissent les deux premiers vapeurs à aubes de la marine : l'Africain en 1818 et le Voyageur en 1819. Puis, vient l’ère du métal : en 1861, la Couronne, première frégate à coque intégrale en fer, voit le jour. 

Les ateliers troquent alors la fonte pour l’acier moulé. A l’aube de la Grande Guerre, Lorient se spécialise dans la production de cuirassés. Les bien-nommés La Dévastation et Le Redoutable sont mis à l’eau en 1876 et 1879, et l’activité ne faiblit pas durant la Première Guerre mondiale.

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                                                                                                                                                  © La Couronne

Sous un autre drapeau

En 1940, c’est en revanche le coup d’arrêt. Les Allemands arrivent, il faut quitter le navire. Ordre est donné aux soldats d’incendier les cuves de mazout des ports, de noyer les munitions dans la rade, et de dynamiter les portes des radoubs de l'arsenal. 

Le 21 juin 1940, la ville de Lorient tombe, et son destin militaire se poursuit sous un autre drapeau. Le IIIe Reich choisit le site de Keroman pour y installer sa base militaire. De gigantesques bunker y sont bâtis, nécessitant un million de mètres cubes de béton, soit près du quart du béton travaillé en France pour l'effort militaire allemand. Neuf mois de lutte face aux 25 000 soldats allemands retranchés dans “la poche” seront nécessaires pour libérer la ville, le 10 mai 1945. 

Que faire de ces infrastructures nazies, quasiment seules survivantes du martyr de la ville ? La base sous-marine de Lorient est investie par la Marine nationale, qui l’occupe jusqu'au 11 février 1997. Dans les années 2000, la Marine abandonne aussi ses installations de la rive droite de l'arsenal du Scorff. 

Aujourd’hui, l’arsenal accueille le constructeur de navires de défense Naval Group : des frégates d’intervention de dernière génération destinées à la Marine nationale sont prévues à la livraison entre 2024 et 2030. Côté équipement industriel, le site est doté d’un bassin couvert de 245 mètres de long. Appelé « grande forme », c’est l’un des plus imposants d’Europe : plusieurs navires y sont assemblés simultanément. 

Refuge des “Forfusco”

Mais dans la rade aux 3000 navires, la présence militaire est loin d’avoir disparu. À bord des semi-rigides sombres chahutés par les vagues, les grappes serrées des commandos en sont les vigies. Le port militaire de Lorient est en effet la base de la force maritime des fusiliers marins et commandos, ou « Forfusco », l’une des quatre composantes de la Marine nationale. Fondée en 1856 à Lorient, son école de formation est aujourd’hui dotée d’un musée sur l’histoire de cette unité très spéciale ! 

Leurs missions ? Mener des opérations terrestres à partir de la mer, protéger les sites sensibles de la force navale ou encore participer à des opérations spéciales. D’ailleurs, il n’est pas rare d’apercevoir ces marins d’élite s'entraîner dans le chenal, et notamment sur l'îlot Saint-Michel, un terrain militaire stratégiquement posé au beau milieu des flots, au cœur de la rade... Ou de s’exercer sur les navires reconvertis pour leurs manœuvres, à l’image du BAMO, un bâtiment anti-mines océaniques de type catamaran construit en composite, le premier du genre. Les fusiliers marins contribuent également à la protection du site de Lann-Bihoué où est basée l’une des plus importantes unités de la force aéronavale du territoire français. Car à Lorient, les marins de la force armée naviguent aussi bien sur mer que dans le ciel… 

Carte d’identité 

  • Le port militaire et l’arsenal s’étendent sur les rives droite et gauche du Scorff : côté Lorient et côté Lanester
  • Au sein du pays de Lorient, la Marine nationale est représentée par deux de ses forces : 
        - la base FORFUSCO (Force maritime des fusiliers marins et commandos) de la rade, avec son école, l’état-major et 6 des 7 unités             commandos : 98 hectares et plus de 1000 emplois.
        - la base aéronavale de Lann-Bihoué : 800 hectares et 2000 emplois
  • Quatre patrouilleurs côtiers de la Gendarmerie Maritime sont chargés de la sauvegarde maritime et de la police des pêches.

 

 


La Base vue par un « Marin du ciel » 

Prenons de la hauteur, un peu plus qu’avec les foils d’un Imoca dernière génération, pour découvrir, à travers le regard d’un pilote de la marine, la rade vue du ciel. 

Comme l’océan aux portes de la ville, le ciel lorientais est sillonné de vaisseaux. Lorient est notamment l’unique berceau d’un avion intrigant, tant par son fuselage que par ses capacités aéromaritimes : le titan tactique ATL2.  

« Marin du ciel ». C’est ainsi qu’on les nomme, ces pilotes de la marine qui naviguent dans cette immensité bleue où le ciel verse dans la mer. Le lieutenant de vaisseau Hadrien* œuvre à bord de l’Atlantique 2, l’avion de patrouille maritime de l’armée. « Nous sommes formés par l’armée de l’air puis reversés dans la marine où nous venons en renfort des forces navales », explique le militaire, pour étayer ce que sa carrière recèle d’aventures et d’embruns. Aux commandes de cet avion aux allures de baleine grise, dans le ventre duquel un équipage d’une quinzaine de personnes (« une deuxième petite famille ») s’active les yeux rivés sur l’océan.

Quand on lui demande quelle est la part du marin dans son métier de pilote, le chef de bord de l’ATL2 répond sans détour qu’elle est « omniprésente ». « La mer est notre quotidien et nous y sommes attachés. On entre dans la marine par attrait pour elle, et c’est elle qui a orienté mon choix de carrière », raconte le passionné, qui, en somme, doit avoir l’œil du pilote et le pied du marin. « Nous travaillons en l’air mais sommes entièrement dépendants de la mer. C’est le paysage dans lequel nous évoluons. Nos conditions de vol dépendent des conditions atmosphériques, la façon de mener nos missions varie selon le vent et la houle. »

Vol à 30 mètres au-dessus de l’eau 

Un travail d’autant plus exigeant que l’ATL2 est endurant. Avec une autonomie de 12 heures, les skippers ne sont pas les seuls à devoir apprendre à gérer leur sommeil ! Grâce à ce large rayon d’action, « l’avion peut rayonner depuis Lorient jusqu’en Méditerranée, survoler l’Atlantique Nord ou encore la Baltique »

Opérant de jour comme de nuit, l’aéronef y mène des missions aériennes très variées, allant de la lutte contre le narcotrafic au renseignement ou encore l’escorte de porte-avions mais aussi la lutte contre la pollution et le secours en mer. « Mais le cœur de mon métier est d’assurer la sauvegarde et la sûreté des approches maritimes. Il s’agit de vérifier qu’il n’y a pas de sous-marins étrangers non autorisés dans nos eaux et de sécuriser nos propres bâtiments », détaille Hadrien. 

Et pour détecter les signaux de cette menace croissante, l’ATL2, spécialement conçu pour la lutte anti-sous-marine, embarque un arsenal de radars, capteurs et sonars, « tout un équipement de haute technicité ». Le colosse aérien est en outre l’un des rares avions à avoir été conçu pour frôler les flots. « Malgré ses 30 mètres d’envergure, il possède une morphologie particulière qui lui confère une manœuvrabilité optimale en basse altitude. » Et lui permet de voler « à 100 pieds [30 mètres] au-dessus de l’océan ! », souligne le pilote de ce vaisseau qui lèche les vagues sans craindre la corrosion.

Le chat et la souris, version sous-marins

Pour scruter la mer, les observateurs sont nichés dans des sortes de bulles vitrées, des postes de veille que l’on trouve de chaque côté du fuselage. « Ils ont la capacité de voir tout autour et sous l’avion ». Si les signaux acoustiques et thermiques ont leur importance, « on peut voir beaucoup de choses à la vue, parfois même plus facilement qu’avec nos capteurs. Notre mission prioritaire est de jouer au chat et à la souris avec les sous-marins, qui doivent nécessairement remonter à la surface. On les attend ! Cela demande un certain entraînement, mais cette primodétection est déterminante. » 

En plus de ses hublots, l’ATL2 possède surtout un nez vitré, situé sous le poste de pilotage. « Il offre une vue imprenable, à 180 degrés, sur l’océan, les éventuels sous-marins qui émergent des eaux, mais aussi les dauphins et autres cétacés… » Et sur la rade de Lorient ? « Je suis très attaché à cet endroit, et plus largement à la magnifique pointe bretonne. C’est d’autant plus beau vu du ciel ! ». Ainsi, le marin du ciel lorientais sillonne les océans, loin de ses attaches, mais en revient toujours à sa base. Animé par « un sentiment de joie teinté d’excitation, que je partage peut-être avec les marins et les skippers qui rentrent au port ».

* Pour des raisons de sécurité, seul le prénom du témoin sera utilisé

 

En 1997, quand la Marine quitte les bunkers géants de Keroman pour raisons économiques, la Ville s’interroge : qu’en faire ?  Le projet de centre sur “l’homme et la mer au XXIe siècle” est alors adopté. Imaginait-il ces visionnaires, qu’il allait devenir un des ports de course au large les plus dynamiques de France, désormais connu sous le nom de Lorient La Base. 

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