Une journée à Lorient avec... Lorient Grand Large
Après avoir bravé l’Atlantique Nord à la fin de l’automne, les solitaires engagés sur le Retour à La Base seront accueillis chaleureusement par les Lorientais, dont l’hospitalité survoltée n’est plus à prouver. Mais dans cette ville pour moitié constituée d’eau salée, la voile est une fête de tous les jours.
Du centre nautique à la capitainerie en passant par la Cité de la Voile ou Lorient Grand Large, ils sont nombreux à être sur le pont quotidiennement pour transmettre à tous les habitants et visiteurs de « la ville aux six ports » leur passion pour l’océan... Mais avez-vous déjà poussé leur porte ?
À Lorient Grand Large, la pépinière qui
« fait grandir » la voile lorientaise
7 h 45 – Oubliez la grasse matinée, le ciel lorientais hésite encore sur la couleur à revêtir lorsque Loën commence à s’agiter en haut des pontons. La raison de ce remue-ménage ? La réception d’un mur d’escalade de plus de 8 mètres de haut, ce qui, en convient le jeune alternant recruté voilà plus d’un an, ne se produit pas tous les jours... Mais « ne pas avoir peur de gérer l’imprévu », ça pour le coup, « c’est la base du travail à la Base », résume l’étudiant en école de commerce.
C’est que plus grand-chose n’effraie les équipes de Lorient Grand Large, cette association créée en 2010 et financée par l’agglomération pour accompagner et soutenir le développement champignonnesque de la course au large dans la rade morbihannaise. Avec une réussite qui dépasse les plus optimistes des prophéties ! Qui aurait pu imaginer, à ses débuts, que l’organisation devienne un pôle de référence, tant pour l’organisation d’événements nautiques que pour accompagner au quotidien la centaine de skippers qui en ont fait leur port d’attache ?
« Dans ce métier, c’est impossible de s’ennuyer », confirme Loën en se penchant pour attraper une barrière métallique. Aujourd’hui en est un bon exemple : le Tour de Bretagne et le Tour de France, épreuves estivales du circuit de la Classe Figaro Bénéteau, ont décidé d’y faire étape. Si Lorient Grand Large n’est pas organisatrice de l’événement, elle intervient tout de même en soutien logistique, notamment sur toute la partie à terre. Et le succès d’une régate se mesure autant par la performance des marins sur l’eau que par la qualité des petites mains qui œuvrent en coulisses pour y ajouter ambiance et convivialité ! « La journée va être chargée », confirme Loën. bien déterminé à achever au plus vite ses trois objectifs immédiats : « BBC », barrière, banderolage et cafetière fonctionnelle.
8 h 10 – A quelques centaines de mètres de là, à vol de goéland, Pauline est devant son écran. Dans les locaux de Lorient Grand Large – « LGL », pour les intimes - , la coordinatrice de l’association a déjà le nez dans les plannings et calendriers, jongle entre les impératifs des Class40 et des IMOCA.
Recrutée voilà quatre ans, la jeune femme avoue pourtant qu’elle n’y connaissait pas grand chose à la voile. Le sport, par contre, ça oui. « Gamine, j’étais du genre à pleurer devant les Jeux Olympiques », raconte celle à qui « parlent » les valeurs d’intensité et de dépassement de soi, et qui l’ont menée à travailler durant cinq ans pour les Merlus du FC Lorient. Avant d’échouer dans ce milieu marin, dont elle aime tout particulièrement « la variété des profils, des projets, des équipes ».
D’abord recrutée comme coordinatrice du pôle course, elle gagne au fil des mois en expérience, et bascule de plus en plus vers l’opérationnel – ça tombe bien, c’est ce qu’elle préfère. Et Lorient Grand Large veut monter en puissance. Sa mission ? Structurer et étoffer le pôle course, et multiplier les événements nautiques… En résumé : continuer de polir ce diamant brut qu’est la Base pour en faire un des plus beaux bijoux du territoire lorientais. « C’est un challenge, car il faut créer une dynamique collective dans un sport naturellement assez individuel, où les skippers mènent leur projet côte à côte. »
9 h 15 – Le téléphone vibre, et pour être transparent, c’est loin d’être la première fois depuis le début de la journée. Mais cette fois, Pauline y prête un œil attentif, et pour cause : ce sont les élus de l’agglomération qui s’enquièrent de l’heure à laquelle ils doivent embarquer pour pouvoir assister à l’arrivée des Figaro.
Accueillir, faciliter la logistique, s’assurer que les plans se déroulent sans accroc : voilà qui résume le rôle de la coordinatrice de « LGL » sur des journées d’événementiel du genre. Et soudain, un nuage menace : le pilote a-t-il bien confirmé ? Les bateaux arriveront-ils dans le bon timing malgré l’absence de vent ? C’est parti pour une série de coups de fil pour s’en assurer.
10 h 10 – Jean-Philippe, le président de Lorient Grand Large, fait son entrée dans le bureau. Ou plutôt son éternel chien noir qui le précède toujours d’une courte tête, véritable mascotte de Lorient Grand Large.
Avec Pauline, le passionné bénévole fait le point sur les différents dossiers du moment, avant le prochain conseil d’administration. Chaque deuxième mercredi du mois, la réunion y rassemble des skippers, des teams, des entreprises du territoire, des représentants de Lorient Agglomération et de la Sellor, la société d’économie mixte chargée de la gestion des ports. « On y évoque les propositions envoyées par les organisateurs de course, on défend les dossiers, on justifie les budgets, on anticipe les besoins de chacun pour y répondre au mieux », explique Pauline.
Et en ce moment, c’est peu dire qu’il y a fort à faire : après le Défi Azimut- Lorient Agglomération et l’Atlantique le Télégramme E.Leclerc en septembre, la Transat Jacques Vabre pour les skippers lorientais, puis le Retour à La Base, dont Lorient Grand Large est organisateur. Un vrai test pour les équipes, qui espèrent mobiliser la population lorientaise avec une arrivée de transatlantique des si spectaculaires IMOCA. « Notre objectif, c’est de faire venir le grand public jusqu’à la Base, faire sauter les barrières », confirme le président de l’association.
« D’ailleurs, tu as pu regarder le dossier à envoyer à la Région Martinique ? », s’enquiert aussitôt Jean-Philippe. « Je suis dessus, c’est l’objectif de la journée », répond du tac au tac Pauline en ouvrant un des – très nombreux – onglets sur son ordinateur. Le demi-litre de thé brûlant ne sera assurément pas de trop.
10 h 20 – Dans le bureau voisin, Tom a lui aussi la tête dans le calendrier. Facile, il trône sur le grand tableau blanc en face de son siège. « Une course début avril comme la Plastimo Lorient Mini 6.50 (ndlr : première course de la saison en Mini 6.50 sur le bassin Atlantique), on doit commencer à bosser dessus dès novembre », explique le jeune homme, dont le rôle est plus spécifiquement de bichonner les skippers.
Car chaque marin qui adhère à l’association se voit gratifier d’une quantité de services, allant des cours de sport aux formations météo ou à l’organisation de stages d’entraînement. « Nous, on veut faire grandir » résume Tom, qui espère incarner le « contact humain sur lequel tous les skippers peuvent compter ».
Besoin d’aide logistique, élaboration d’un programme de formation, difficultés à monter son projet ? La porte du bureau est ouverte aux quatre vents, et le jeune homme pousse même le vice jusqu’à participer aux cours de sport du jeudi pour « s’assurer que les retours sont bons ». Bon, il est vrai que cet ancien du Laser passé par le pôle espoir voile n’a pas trop à se forcer, lui qui « avait envie que [sa] passion devienne [son travail] ». Après un master en marketing, il atterrit en alternance chez LGL, pour ne plus quitter ce poste dont il aime « le côté huile dans les rouages ». Et quand il doit le décrire à des terriens ? « Faire en sorte que nos skippers soient contents, et, dans l’idéal, performants ».
Mais là encore, l’équation n’est pas évidente, tant chaque marin a des attentes différentes. « Plus le bateau est gros, moins ils ont besoin de nous, résume Tom. Mais on essaie quand même d’anticiper leurs besoins, de se renouveler, d’être créatifs, en partant de ce qu’on entend sur les pontons… » Une salle d’escalade ouvre à Lorient et les marins plébiscitent la grimpette en préparation physique ? C’est parti pour négocier un tarif préférentiel et caler des sessions compatibles avec leur calendrier de course déjà bien chargé ! Une initiative qui provoquera sûrement une pensée émue des quelques skippers qui devront un jour grimper au mât au beau milieu de l’Atlantique…
11 h 10 – Tant pis pour les 299 mails encore en souffrance dans la boîte, Tom doit vite s’installer au volant du camion LGL, bien utile pour tous les déplacements sur les départs de course où il va apporter un soutien à ses poulains. Cette fois, il embarque avec lui le président de LGL et le responsable du centre de formation de la Trinité-sur-Mer Orlabay, Daniel Souben. Car les structures voisines, dont les skippers respectifs sont évidemment de farouches rivaux sur l’eau, collaborent régulièrement pour joindre leurs forces, et mutualiser les coûts !
Ce matin-là, ils ont rendez-vous à la capitainerie du port de commerce de Lorient. Dans la tour vitrée qui donne sur la rade, ils retrouvent deux représentants du Centre nautique de Lorient pour exposer ensemble aux officiers du port leur projet : l’organisation d’un stage pour les sensationnels trimarans Ocean Fifty, qu’ils aimeraient faire décoller au plus près du centre-ville lorientais. « L’idée, c’est de montrer ces beaux bateaux à tout le monde, les faire entrer dans la ville au maximum », résume Jean-Philippe.
Problème : la rade est loin d’être le seul terrain de jeu des bateaux de course… Chaque jour, les gigantesques cargos y croisent pêcheurs, bateaux militaires, ou navettes de transport de passagers. C’est bien simple, toutes les 4 minutes en moyenne une embarcation s’engage sur la zone. Alors concrètement, l’affaire semble mal engagée !
Autour de la cartographie détaillée qui s’étale au mur, chacun y va de son scénario, saisit le compas de relèvement, mesure, parlemente. « Là, on a 0,6 milles, ce serait suffisant ? » « Ça peut être jouable, mais s’il y a du vent de travers ils s’arrêtent dans les cailloux ». Et ce quai de commerce, pas possible de l’ouvrir au public pour l’occasion ? Réponse négative du chef du port, mais il fallait bien le tenter. Et la marée, elle est comment à cette date ? Grimaces de ceux qui ont dégainé leur téléphone pour répondre. « Faudra pas se rater sur les manœuvres ! » Autre problème de taille, la vitesse est limitée dans la rade à 10 nœuds. Or un Ocean Fifty bien lancé peut allègrement franchir les 30 nœuds… « Est-ce qu’on peut être autorisés à un excès de vitesse ? ». Là encore, les officiers ont l’air de douter… « Il faut faire une demande de dérogation, et ne trainez pas pour que ce soit vite étudié ! », conseille le responsable.
Verdict au moment de se serrer la main : il va falloir rédiger au plus vite une déclaration de manifestation nautique (DMN), et lister les besoins. Tous se tournent vers Tom : « Tu as déjà fait ça ? » « Non, mais je vais apprendre », répond l’intéressé, visiblement coutumier du fait.
13 h 40 – Après avoir étudié une candidature potentielle pour un futur poste d’alternant, Pauline dépose un dossier sur le bureau de la responsable administrative et financière de l'association Nathalie. Puis, il est temps de rechausser le ciré, et de pousser jusqu’au port s’enquérir des nouvelles concernant les Figaro. Le podomètre s’affole. C’est qu’il faut s’assurer que tout est calé pour la fin de journée. Les lots pour la remise des prix ? Le traiteur ? Les locaux prêtés par Team Banque Populaire pour l’organisation de la soirée ? D’ici quelques mois, ce dernier paramètre sera peut-être du passé, puisque les locaux de LGL devraient déménager dans la future maison des skippers, qui s’érigera en plein cœur de la Base. « ça va nous permettre d’être encore plus en contact avec les skippers », se réjouit Pauline, qui y voit une belle étape pour servir l’ambition finale : « faire de Lorient la capitale mondiale de la course au large ». Pas le temps de souffler, il faut guider le petit groupe d’élus lorientais qui doit embarquer au plus vite dans un semi-rigide pour assister à l’arrivée des Figaro.
14 h 50 - Nouveau petit point entre Loën et Pauline, au pied de l’estrade : « Il faut qu’on voit qui offre le lot, et le briefer sur le discours ». Ici, on fonctionne en autonomie, mais on s’assure que tout le monde a en tête ses différentes « to do list ». A Loën de gérer la récupération des paniers garnis chez le partenaire Groix et Nature, à Pauline de donner quelques éléments de langage à Patrice Valton, maire de Larmor-Plage et vice-président de Lorient Agglomération, chargé des ports et de la plaisance. C’est lui qui montera sur l’estrade pour accueillir les valeureux gagnants du jour !
15 h 55 – Malheureusement dépourvu du don d’ubiquité, Tom se connecte au lien Zoom qu’il vient d’envoyer aux skippers de la Class40, rassemblés aux Sables d’Olonne. Tous s’apprêtent à disputer la première étape des Sables-Horta, et suivent religieusement le dernier briefing météo organisé par LGL. A distance, Tom écoute la session du formateur choisi, pour s’assurer qu’elle correspond aux attentes de ses marins.
Sa fierté ? Voir aujourd’hui des coureurs que l’association a accompagné à leur début, sur les Minis de 6 mètres 50, se lancer désormais sur des bateaux plus gros, et des projets plus ambitieux. Sur la dernière Route du Rhum, c’est bien simple, un quart des skippers engagés avaient leurs quartiers à Lorient. « Les voir progresser, construire leur carrière, participer à ça, c’est génial », résume Tom, non sans émotion.
16 h 50 – Enfin, les premiers « figaristes » débarquent aux pontons, la mine fatiguée par les interminables heures de pétole. L’étape a même fini par être raccourcie de deux milles, pour mettre fin à leur souffrance. A terre, les caprices d’Eole ont permis au moins de finaliser parfaitement l’accueil, et on ne va pas se plaindre d’avoir une météo clémente. « C’est le jeu de l’événementiel, on peut se battre pendant des mois pour organiser un événement parfait, on sait que le jour J, si le soleil n’est pas de la partie, tout sera plus compliqué et nous devrons nous adapter ! », résume Loën, avant un dernier échange avec le sonneur du bagad de Ploemeur, venu animer la fin d’après-midi. Il faut aussi accueillir les journalistes qui sont venus couvrir l’événement.
17 h 37 - La tireuse à bière est en marche, un certain soupir de soulagement émane des équipes techniques, qui sont vite rejoints par de nombreux autres travailleurs de La Base. Côté skippers, ça refait le match, en analysant les points forts et les points faibles de ceux qui ont remporté l’étape. C’est l’heure à nouveau de serrer des mains, prendre des nouvelles des bateaux en chantier, des programmes de l’année prochaine… Dans ce microcosme à la dynamique sans pareil, il y a toujours des informations à engranger pour préparer le coup d’après !
18 h 25 – Les discours s’enchaînent sur l’estrade du Tour de Bretagne. Pauline a finalement dû monter sur scène elle aussi, pour remettre un des prix. Après ça, il y aura la soirée officielle jusqu’à 22 heures pour permettre aux équipes et aux Lorientais de se rencontrer. « C’est ce qui nous anime au quotidien, essayer de faire en sorte que les gens du coin s’approprient davantage la Base, et tous les événements qu’on y organise en libre accès toute l’année ! » Démocratiser et faire connaître, pour mieux en soutenir le développement : voilà la mission de ces passionnés, attachés tout autant à faire briller leurs sportifs que leur territoire.
Illustrations © Margot Lecointre / Aperçu