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Après avoir bravé l’Atlantique Nord à la fin de l’automne, les solitaires engagés sur le Retour à la Base seront à coup sûr accueillis chaleureusement par les Lorientais, dont l’hospitalité survoltée n’est plus à prouver. Mais dans cette ville pour moitié constituée d’eau salée, la voile est une fête de tous les jours. 

Du centre nautique à la capitainerie en passant par la Cité de la Voile ou Lorient Grand Large, ils sont nombreux à être sur le pont quotidiennement pour transmettre à tous les habitants et visiteurs de « la ville aux six ports » leur passion pour l’océan... Mais avez-vous déjà pousser leur porte ? Immergeons-nous ensemble à leurs côtés. 

 

Audélor, les petites mains qui œuvrent au service de l’économie lorientaise

 

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9 h 10 – Au premier coup d’œil, on pourrait croire à une œuvre de Mondrian – du bleu, du jaune, du rouge, un vaste enchevêtrement de cases aux couleurs vives qui vont parfois jusqu’à se chevaucher. A y regarder de plus près, c’est bien un planning – et un du genre plutôt chargé ! 

Derrière son bureau, Régis commence sa journée par un tour d’horizon : rendez-vous prévus, appels, visioconférences, mais aussi traitement des 47 nouveaux mails reçus, et veille sur son réseau Linkedin, devenu indispensable dans l’exercice de son métier. Quel est-il exactement ?  « Créer de l’emploi sur le bassin lorientais », résume Régis le plus simplement du monde, tout en admettant « quelques subtilités qui rendent la tâche aussi complexe que passionnante ».

Bienvenue au 12, avenue de la Perrière, artère fémorale de Lorient, à deux pas des embruns de La Base. Un grand bâtiment de pierres, scindé en son centre par une tourelle vitrée pareille à un périscope de sous-marin. Et pour cause, chez AuDélor – comprendre « Agence d’urbanisme, de développement économique et Technopole du Pays de Lorient » -, on a pour vocation de montrer la voie, et aider à manœuvrer le grand paquebot de l’économie lorientaise.

« Et on part de très très loin », rappelle Régis, qui travaille là depuis huit ans, après avoir longtemps œuvré dans l’événementiel, pour promouvoir le célèbre festival interceltique. A la naissance de l’association en 1987, Lorient est en effet en plein doute. Le départ des militaires et la crise de la pêche laissent la ville exsangue, sans perspective. Le maire d’alors, Jean-Yves Le Drian, à l’idée de créer cette structure indépendante, mais avec des financements publics. Son principe ? Eloignée des fluctuations politiques, l’agence peut avoir une vision à long-terme pour accompagner les entrepreneurs du coin, et les aider à surmonter leurs difficultés. Et développer au passage une vraie stratégie pour le territoire, pour fixer le cap même au plus fort du coup de tabac.

Vingt-cinq ans plus tard, c’est peu dire que l’idée s’est montrée pertinente. « Lorient est devenue une ville dynamique, attractive et en pleine croissance, avec le deuxième technopole de Bretagne derrière Rennes en nombre de projets [456 accompagnés en 2022, dont 121 innovants] et en montants, avec 3,2 millions d’aides levées », souligne Régis. Lui est responsable plus particulièrement du secteur du nautisme et des matériaux composites, qui représente plus de 40 % des projets soutenus et agit en locomotive pour l’agglomération. Avec, de plus en plus, une dynamique écologique et durable qui monte en puissance - 5 % des projets accompagnés en moyenne entre 2015 et 2021, contre 18,5 % en 2022 ! 

Et derrière ces chiffres qui donneraient presque le vertige, AuDélor, avec sa trentaine de salariés, devenue désormais un couteau suisse indispensable, autant pour les institutions que pour les entrepreneurs du coin. 

10 h 25 – Nous voilà justement tout de suite dans le vif du sujet. Dans le bureau, Thomas Chippeaux rentre en habitué. Comme lui, ils sont nombreux à avoir franchi ce seuil avec juste une idée, une esquisse, une graine de projet. La sienne ? Le  MedXbag, un sac de secours connecté ultra-compact, créé grâce au précieux concours d’un médecin urgentiste spécialisé dans les interventions en mer, et malheureusement longtemps coutumier des sacs de matériel démesurément lourds et encombrants. 

Adressé en premier lieu aux marins, le prototype contient tout le nécessaire d’urgence, et sa structure en aluminium se transforme en différentes attelles – du collier cervical à la ceinture lombaire en passant bien sûr par l’éclisse de bras ou de cheville… À ce dispositif s’ajoute un guide d’urgence, ainsi qu’une application qui permet d’aider à l’évaluation d’une blessure, d’établir un parcours de soin, mais aussi de gérer sa trousse à pharmacie en intégrant les dates de péremption. 

Que vient faire AuDélor dans l’histoire ? « Aider la bonne idée à grandir, et faire son chemin », résume Régis, qui était parmi ceux qui ont sélectionné le projet MedXBag au terme d’un grand oral de présentation en mars.

Depuis, la start-up progresse – remportant en 2023 le prix de l’innovation de la ville de Lorient -, et Régis est présent à chaque étape. « Les trois quarts du boulot, c’est d’aller chercher les financements », raconte l’intéressé. Comment ? « En connaissant les pratiques de chaque financeur, les démarches, les calendriers, et en étant précis et rigoureux pour faire rentrer nos projets  dans les cases qui vont permettre de débloquer de l’argent public ou privé », résume Régis, devenu de facto expert du « millefeuille administratif qui se dresse devant les entrepreneurs, et qui sert à s’assurer qu’on ne gâche pas l’argent public ».  

Mais l’accompagnement « sur-mesure » d’AuDélor est loin de s’arrêter là. Régis teste lui-même le prototype, et aide à la mise en relations avec des clients ou des fournisseurs potentiels, voire même des associés. Un exemple concret ? « L’attelle de jambes ne nous donnait pas pleinement satisfaction, on s’est dit qu’elle serait mieux et plus légère dans un matériau composite, si possible en plastique recyclé avec de l’impression 3D ». Très vite, Régis songe à une entreprise lorientaise, et met en relations les deux dirigeants. Bingo, ça « matche » ! « On est un peu l’agence matrimoniale des entrepreneurs, sourit celui qui, lui-même, a passé de longues années les mains dans la résine à produire des planches de surf. Ca aide d’avoir une connaissance technique du secteur et du tissu économique local, il faut garder une veille permanente sur les nouveaux matériaux ».

Mais derrière toutes ces considérations pragmatiques et économiques, il ne faut pas négliger l’aspect humain, qui constitue « le sel de notre métier ». « Quand on crée une boîte innovante, on arrive vite dans l’intime, on a des gars en face qui mettent toutes leurs tripes pour faire vivre leurs idées, au risque de tout perdre », rappelle Régis, qui « ne dicte jamais la marche à suivre » mais essaie « de co-construire les stratégies à court, moyen et long terme ». Alors, comme un maïeuticien d’entrepreneurs, il faut aider à combler les lacunes de chacun, déceler les difficultés, « dé-risquer » les prises d’initiatives, accueillir les doutes, aiguiller sans juger, établir le lien de confiance, sentir ce qui est germe, être « un bon lecteur des caractères et sentir les gens ». 

« À ce stade d’incubation, on doit être touche à tout, savoir autant relire un contrat que déposer un brevet, gérer la communication et dénicher des clients », confirme Thomas Chippeaux, qui a largement autofinancé son projet, et cumule encore le tout avec un travail de conseil pour gagner sa vie, à cheval entre Paris et Lorient. Car si MedXBag est aujourd’hui à l’équilibre en termes de chiffre d’affaires, se sortir un salaire est une toute autre paire de manches. 

Chaque mois, l’entrepreneur se voit ainsi proposer une formation – la dernière en date, « image de marque », pour l’aider sur le côté marketing. Mais surtout, il trouve chez AuDélor une oreille attentive. « Ce qu’on veut, c’est éviter à tout prix l’isolement des porteurs de projet, peu importe leur taille. Ils sont une chance pour notre territoire, et on veut les aider au maximum », rappelle Régis, qui se voit aussi comme « un psy pour entrepreneur, puisqu’on est les seuls à leur délivrer des conseils gratuitement, avec une garantie de confidentialité et d’objectivité ». 

Et Thomas Chippeaux de confirmer : « Sincèrement, je n’imaginais pas pouvoir compter sur un accompagnement de cette qualité avec ces moyens ici, c’est tellement précieux quand on se lance dans une aventure entrepreneuriale ». Grâce à AuDélor, qui l’a aiguillé vers les bons interlocuteurs et lui a fait gagner un temps précieux, Thomas Chippeaux vient d’ailleurs de déposer en juillet un nouveau brevet, pour un assistant de massage cardiaque. Là encore, une application qui, il l’espère, permettra de sauver des vies. « L’idée, ce n’est pas de devenir une licorne, mais si on peut aider des marins, des pêcheurs, demain des plaisanciers, des montagnards, des cyclistes, alors je serai heureux », conclut l’entrepreneur. Et AuDélor derrière lui.

 

 

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11 h 15 – Dans l’aile opposée du bâtiment, on travaille à un tout autre sujet : la publication prochaine d’une vaste étude consacrée à l’impact économique de la course au large, en développement constant depuis dix ans dans l’agglomération. Car AuDélor, véritable thermomètre de la santé de la ville, a aussi une branche dédiée aux études économiques, qui permet chaque année d’obtenir des données fiables sur le territoire, et guider les politiques publiques sur des thématiques aussi variées que le logement, le transport, l’emploi ou le handicap. 

Commandée par Lorient Agglomération, l’enquête actuelle a été réalisée durant près de deux mois auprès des professionnels de La Base. Résultat : 35 millions d'euros de flux économique généré sur le territoire par les « teams », auxquels s’ajoutent 7 à 12 millions avec la construction locale de bateaux. « Et 905 emplois directs sur l’agglomération », détaille Pascal Le Liboux, président d’AuDélor. « Ça nous permet de soutenir et d’étayer les nouveaux investissements de l’agglomération de Lorient dans sa base, qui arrive à saturation. » D’ici 2025, la mairie souhaite en effet doubler le nombre de pontons pour accueillir toujours plus de marins professionnels. 

11 h 45 – L’heure du déjeuner approche, et avec lui, l’opportunité toujours renouvelée d’étendre son réseau. Fraîchement arrivé depuis quelques semaines à l’agence, Olivier a justement rendez-vous avec des entrepreneurs locaux dans un des nombreux restaurants voisins. « C’est pratique, parce que le danger de ce métier, c’est de passer trop de temps derrière l’ordinateur et pas assez avec des humains », explique cet ancien du technopole de Quimper, aujourd’hui chargé de mission "Accompagnement d'entreprises et Attractivité territoriale". 

S’il en est encore à sa période « distribution de cartes de visites », il voit déjà bien les atouts de ce territoire lorientais, dont la « taille humaine » permet de vite connaître les acteurs économiques et multiplier les rapprochements.

Mais attention à ne pas constuire un colosse au pied d’argile ! « On est sur un territoire qui a réussi une mutation, avec un site emblématique qu’est la Base. Mais tout reste fragile, et il faut pérenniser, c’est aussi un gros défi », résume l’expert. Sa problématique particulière ? « L’accès au foncier bien sûr », explique Olivier en pointant une carte de l’agglomération, déchiquetée de toute part par la mer. « Géographiquement, on est très contraints. Il y a encore huit ans, il y avait des locaux vide à pas savoir quoi en faire, aujourd’hui on a dix demandes pour un local qui se libère. On essaie d’ouvrir des zones d’activité, de densifier, mais ce n’est absolument pas l’idée non plus de tout bétonner, puisqu’on veut vraiment avoir une vision à long terme pour la ville ». 

Même son de cloche côté transports, un point crucial sur lequel travaille tout particulièrement AuDélor. « Aujourd’hui, la Base est saturée, on a des embouteillages monstres qui peuvent être un frein majeur, il va falloir trouver les bonnes solutions pour l’avenir », résume Olivier. 

14 h 30 – C’est le début d’une longue après-midi consacrée justement au futur, mais du nautisme cette fois. Toute l’après-midi et comme souvent ces derniers mois, Régis a revêtu son costume d’orateur pour animer une table ronde consacrée à l’avenir du transport maritime.  Réduction des émissions polluantes, matériaux bio-sourcés, sobriété des usages, les innovations se retrouvent à tous les niveaux stratégiques… Mais ce qui concentre l’intérêt et les discussions de la journée, c’est assurément le cargo à voile ! Si 90 % des objets qu’on utilise au quotidien ont transité par la mer, l’Organisation maritime internationale (OMI) a imposé la réduction de moitié des émissions carbone du fret maritime d’ici à 2050. « La voile, si on accepte de ralentir, c’est la bonne réponse », justifie Régis devant le parterre d’entrepreneurs et de curieux. 

« On a le sentiment d’être des défricheurs, un peu comme au début des années 2000 avec Internet », explique Régis, persuadé que « les Apple et Tesla du maritime sont en train de naître et qu’il faut les aider à vite sortir de leur garage ». Force est de constater en effet que le sujet intéresse : la salle est pleine. Surtout que le mot d’ordre est clair : « la Bretagne et les Pays de Loire ont une vraie carte à jouer dans le domaine ». 

17 h 30 – Une réunion commence au premier étage d’AuDélor, avec des élus de l’agglomération, véritables partenaires de travail. Régulièrement, des points d’étape sont organisés pour permettre de faire remonter les sujets urgents – telle entreprise connaît telle difficulté, a tel besoin, tel projet a abouti quand celui-ci est à l’arrêt, etc… Les débats s’animent, chacun prend des notes, pose des questions, cherche des solutions. La plupart des thématiques du jour sont confidentielles, ou encore sous embargo – on restera donc sagement à la porte. Mais derrière ce vantail se construit assurément l’avenir de Lorient - celui de demain comme celui d’après-demain.