Des plantations de cacao aux vagues de l’Atlantique Nord, le grand écart des marins du Retour à La Base !
Le temps d’une journée, les marins du Retour à La Base ont quitté leurs pontons si familiers pour s’aventurer dans la campagne martiniquaise, en quête de l’origine des précieuses fèves de cacao qu’ils rapporteront à Lorient. Nous les avons suivis dans cette périlleuse expédition…
Heureusement qu’ils sont habitués à être bien secoués sur leurs bateaux ! À l’arrière du pick-up, assis entre les sécateurs et sacs de jute, quelques marins du Retour à La Base se cramponnent pour éviter les vols planés, tandis que le véhicule progresse cahin-caha sur le chemin de terre, envahi par la canne à sucre et les majestueux arbres à pain. À ce niveau-là, ce n’est plus du nid de poule mais plutôt d’autruche ! C’est qu’elle se mérite la cacaoyère familiale de Rose Mano-Mogade, qui s’étire sur le versant d’un morne bien escarpé, dans la luxuriante campagne du Nord de la Martinique…
À l’arrivée, un parfum de citronnelle s’élève autour des aventureux du jour. C’est l’équipe de l’IMOCA Monnoyeur-Duo For a Job qui a prévu de quoi se protéger de la faune locale, très enthousiaste à l’idée d’accueillir autant de chair fraîche... Voilà « Benjamin envoie le pépin » aussitôt rebaptisé « Benjamin envoie l’huile essentielle » !
Après quelques minutes de grimpette, les premières cabosses apparaissent sur les branches, dans des nuances allant du vert anis au jaune-orangé en fonction de leur maturité. Comptez tout de même près de trois ans entre la plantation d’un cacaoyer et sa première récolte !
« On dirait de la mangue plus que du chocolat ! »
D’un geste sec et précis, Kora Bernabé, présidente de Valcaco, l’association des producteurs de cacao martiniquais, fend l’une des précieuses baies sur un rocher saillant, pour faire découvrir aux marins les fèves bien protégées dans une pulpe blanchâtre. Le fils de Samantha Davies, navigatrice d’Initiatives Cœur, est le premier à goûter… « On dirait de la mangue plus que du chocolat ! », constate, visiblement un tantinet déçu, le blondinet.
C’est qu’il y en a des étapes avant de pouvoir déguster une tablette, lui explique la productrice martiniquaise, qui a repris le terrain de son grand-père longtemps laissé en jachère. Récolte, fermentation en trois étapes, séchage, torréfaction… les bonnes choses prennent du temps, surtout quand il faut repartir de zéro et « tout réapprendre de ce savoir-faire ancestral » !
Patrimoine oublié
Trouver du cacao sur la magnifique Madinina ne devrait pourtant pas être si surprenant. Implantée par des commerçants amérindiens en 1660, la plante est vite devenue une culture prolifique sur l’île, avec pas moins de sept variétés exploitées sur les dix existantes dans le monde, et près de 6 000 tonnes de fèves récoltées dès la fin du XVIIe siècle… pour répondre à la gourmande demande de la cour de Louis XIV !
Mais après des décennies d’essor, la production connaît une spectaculaire chute dans les années 1970, au profit notamment de la banane, cultivée intensivement pour l’exportation. Et voilà le cacaoyer, cette plante rustique qui ne craint guère les parasites, qui tombe dans l’oubli…
À l’aube des années 2010, un sentiment de gâchis habite une nouvelle génération d’agriculteurs martiniquais, hantée par le souvenir du goût des « gwo kako », ces bâtonnets chocolatés de leur enfance… « Le cacao est une fierté du patrimoine martiniquais, qui n’a pas été souillée par l’esclavage ou les scandales sanitaires comme le chlordécone », rappelle Kora Bernabé, qui lance en 2015, avec un petit noyau d’une dizaine de passionnés, l’association Valcaco, pour relancer une production « durable et responsable », et obtenir au plus vite une Appellation d’Origine Protégée (AOP).
« Ça nous fait un point commun d’en baver ! »
Aujourd’hui, ils sont une cinquantaine de cultivateurs sur l’île, dont Rose Mano-Mogade, ancienne esthéticienne qui a tout quitté pour installer ses premiers cacaoyers en 2018. « Un peu comme le vin, chaque parcelle a ses qualités et spécificités, avec des notes plus ou moins florales, épicées, ou boisées », explique la passionnée, qui a pris soin de planter aussi manguiers, cotonniers et autres bananiers pour prodiguer de l’ombre aux fragiles cabosses.
Désherbage, récolte, taille : « le travail est très physique », explique l’élégante cultivatrice, qui prend soin de n’utiliser aucun pesticide sur sa parcelle. En face, les skippers, dont le corps est lui aussi souvent mis à rude épreuve, écoutent compatissants. « Ça nous fait un point commun d’en baver ! », commente le skipper de Fives – Lantana Environnement, Louis Duc.
400 tablettes par bateau
C’est bien beau tout ce labeur, mais il ne faut pas perdre de vue l’essentiel… « C’est quand le chocolat ? », demande, du haut de ses trois ans, la fille d’Alan Roura, marin de l’IMOCA Hublot. « C’est pour janvier ! », lui répond d’une voix douce Anne Caron. Avec sa veste noire au prestigieux col tricolore, la torréfactrice et meilleur ouvrier de France 2023 se remarque facilement dans la cacaoyère. C’est à elle que chaque concurrent du Retour à La Base va confier les quelque 20 kilogrammes de fèves de cacao martiniquais qu’ils vont embarquer à bord pour leur transatlantique retour en Atlantique Nord ! Avec un savant équilibre de sucres dont elle a le secret, cette magicienne des marmites et de la cuisson les transformera en gourmandes tablettes – 400 par bateau, tout de même, se réjouit la spécialiste du goût et du « produit d’excellence » !
« C’est une opération symbolique, mais qui rassemble beaucoup d’enjeux d’avenir, que ce soit pour la Martinique, pour une agriculture durable, un transport maritime décarboné, et une meilleure coopération entre les territoires », résume Jean-Philippe Cau, président de Lorient Grand Large, en prenant soin de ne pas chuter sur les racines qui parcourent la plantation.
« Il y a urgence »
Pour coordonner l’opération, l’organisateur de la transatlantique retour a pu s’appuyer sur le savoir-faire de Belco, entreprise bordelaise spécialisée dans le sourcing de café et cacao, et pionnière du transport à la voile. « Notre ambition, à terme, c’est de commercialiser un cacao 100 % français décarboné », explique le chef de projet Louis Mayaud, heureux de voir tous ces skippers qui deviennent « ambassadeurs d’un autre type de consommation, soucieuse de notre environnement ».
De retour sur les pontons de Fort-de-France, c’est justement l’heure de la distribution des sacs de fèves à bord des IMOCA. Sous son chapeau en toile, Joseph Domergue, producteur de cacao dans une forêt longtemps laissée à l’abandon, serre la main du skipper hongrois Szabolcs Weöres, en lui remettant le rondelet bagage. D’une voix douce, le Martiniquais qui espère « vivre un jour de sa plantation » cache difficilement son émotion. « C‘est quand même une grande fierté de voir ma production prendre la mer avec tous ces champions. J’espère que ça donnera envie à plus de gens de soutenir une agriculture biologique et responsable, il y a urgence. »