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Bien malheureux celui qui s'aventure à Lorient et demande à un passant la direction du port, car il se verra prestement répondre « Lequel ? » avec une pointe d’amusement. Six ports : voilà ce qui fait de la ville morbihannaise un endroit unique en France, concentré d'activités maritimes à nul autre pareil. Mais les connaissez-vous si bien que ça ?

Le port de plaisance, la voile pour tous

La petite coque vermillon incline légèrement sa route. Au pied de mât, une silhouette s’agite, actionne le puzzle de cordages, sibyllin pour le profane. La voile monte lentement, par à-coups, modeste triangle blanc sur le bleu grisé de la rade lorientaise. Un instant, elle faseye, avant de se gonfler dans le vent du matin, complice invisible vers une destination inconnue, ou juste quelques heures de jeux dans les Coureaux de Groix. Un horizon de possibles devant l’étrave, avant de revenir à bon port… Depuis que la voile est devenue loisir, Lorient en est l’un de ses plus beaux refuges, et fait la part belle à la plaisance.

Congés payés et après-guerre

De quand date la première navigation pour le plaisir ? Sans connotation commerciale, militaire, sans enjeu de déplacement stratégique. Faire du bateau par pur amusement, pour la glisse, la balade, la liberté offerte avec le vent pour seul moteur. Le doit-on aux Grecs et aux Romains qui déjà en percevaient tout le potentiel ? A ce Hollandais nommé Voogt qui le premier, en 1601, demanda une licence l’autorisant à naviguer seul des Pays-Bas à Londres sur son petit bateau ? Aux Britanniques qui érigèrent le yachting en sport royal ?

En France, la pratique de la plaisance est relativement récente. Ce n’est qu’au XIXe siècle qu’apparaissent les premières stations balnéaires, plébiscitées par de nouvelles doctrines hygiénistes qui font du bain de mer le remède de tous les maux. De fait, avec cette mode se développe les activités nautiques, et l’apparition des premières sociétés et cercles pour les encadrer – réservés toutefois à une élite économique capable de s’offrir un tel voyage.

À Lorient, il faudra attendre les congés payés, puis surtout l’après-guerre, pour voir émerger cette nouvelle activité, et surtout la voir quitter le giron aristocratique. Très largement détruite, la ville peut en effet repartir sur de nouvelles bases, y compris nautiques.

Dans les années 1950, alors que le CNK (Centre nautique de Kergroise) vient de voir le jour pour rassembler ces nouveaux férus de glisse, une grande partie du bassin à flot est comblée par les gravats créés par les bombardements. Le parc Jules Ferry, la place Louis-Glotin et le Palais des Congrès y sont érigés. Le reste de cet ancien dock de commerce, jusqu’à la cale Ory, accueille de plus en plus de bateaux de plaisance. En 1967, le CNK devient officiellement le CNL (Centre Nautique de Lorient). L’inauguration du premier port de plaisance de Lorient, en plein cœur de ville, s’organise un an plus tard, en 1968. Et quoi de mieux pour le baptiser que d’y organiser une course, ralliant Saint-Malo et Lorient, appelée la Coupe de l’Armen ?

La folie des années 70

Les infrastructures s’étoffent pour accueillir au mieux les pratiquants de ce nouveau loisir. Au bout des quais des Indes et de Rohan, on construit une capitainerie et une aire de carénage. Réparations, matériel, motorisation : de nouvelles entreprises, souvent montées par des passionnés eux-mêmes, fleurissent pour offrir les services requis par la pratique. L’extraordinaire aventure des classes de mer, dans les années 70, finit de rendre populaire la plaisance, et surtout de l’ouvrir au plus grand nombre.

En 1975, le CNL regroupe quelque cent-quinze bateaux dans l'ancien avant-port. Au point de se sentir même un peu à l’étroit pour accueillir les voyageurs qui font escale. Heureusement, la région a plus d’un repli dans sa rade. A l’embouchure de la Laïta, les travaux commencent pour créer le port de plaisance de Guidel, capable d’accueillir une centaine de bateaux. Treize ans plus tard, c’est le port du Kernével, véritable symbole de la montée en puissance de la plaisance dans le Pays de Lorient, qui est inauguré à Larmor-Plage. Partout, on s’arrache les places pour s’octroyer le plaisir d’une navigation au coucher du soleil, entre les îles du Ponant. La voile devient une religion locale, et les flottilles des écoles de voile nourrissent les rêves de demain…

Naissance de la Sellor

Fort de ce succès, Lorient doit s’organiser. En 1988, la société d’économie mixte baptisée la « Sellor » est créée dans le cadre d’une délégation de service public. Sa mission ? Gérer les ports du centre-ville et de Kernével, qui restent propriété de la municipalité. La nouvelle institution embauche, améliore les services, assure l’entretien et l’accueil… et montre tout le potentiel de ce secteur d’activité ! En 2000, les ports de Gâvres, Guidel et Port-Louis y sont rattachés pour former une entité unique, homogène. Huit ans plus tard, c’est Lorient La Base, sixième port de l’agglomération, qui sort de terre.

Depuis, les travaux se font tous azimuts. Créations de nouveaux pontons, extensions d’aires de carénage, installation de brise-clapots, agrandissement de bureaux de port… Au total, près de 35 millions d’euros sont investis pour agrandir les ports de plaisance, portant la capacité d’accueil à 2 700 places sur pontons. Un chiffre vertigineux, et pourtant toujours insuffisant. Dans certains ports de l’agglomération, la liste d’attente est de plus de trois ans… Preuve, s’il en était besoin, que Lorient est définitivement une place forte de la plaisance.

Carte d’identité :

·         6 ports à flot, 1 port à sec, trois aires de carénage

·         2 700bateaux dans les ports à flot

·         280 places au port à sec

·         20 000nuitées d’escale

·         600 adhérents au Centre Nautique de Lorient, animé par 11 permanents

 

BICHE, MASCOTTE DE LA PLAISANCE LORIENTAISE

« J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans », semble nous conter, indolente, l’élégante silhouette fauve et blanche du Biche, quand il pénètre dans la rade pour retrouver son attache du quai de Rohan. Il n’a pourtant que 89 ans ce si joli thonier, mais aux navires bien nés, la valeur n’attend point le nombre des années. Et grâce à un bigarré cercle de passionnés, le plus célèbre des Dundees lorientais est devenu une figure du patrimoine maritime local, mascotte de la voile lorientaise, star bichonnée des pontons du port de plaisance.

Rien ne le prédestinait pourtant à entrer dans la lumière. Né en 1934 aux Sables d'Olonne dans le chantier d'Aimé Chauffeteau, le navire est destiné à un certain Ange Stéphan, patron-pêcheur de l'Ile de Groix, surnommé rien de moins que « Ange-Biche ». D’où son nom de baptême, qui n’a donc rien d’un hommage à Bambi, né huit ans plus tard que lui.

 

Le Biche connaît alors sa première vie, celle des campagnes du thon lancée après la bénédiction des Coureaux, où les six marins du bord remontaient dans le Golfe de Gascogne jusqu’à 300 de ces voraces scombridés par jour. Une existence de travail acharné, dans des conditions météorologiques souvent chahutées, mais que le Biche encaisse, bon an mal an. C’est que ce cotre aurique à tapecul – excusez du peu – est, contrairement à l’animal dont il porte le nom, un robuste bestiau. Des centaines de ses congénères sortent d’ailleurs des chantiers de la façade Atlantique avant-guerre, et son joli profil inspire les plus grands peintres de marine du XXe siècle. 

En 1956, le Biche entame un nouveau chapitre. Remplacé après-guerre par des navires de pêche plus performants, le navire est racheté par le Royal Belgian Sailing Club de Zeebruges. Sa nouvelle vocation ? Permettre à des cadets belges de découvrir la voile… à quai ! Quarante couchettes y sont aménagées pour en faire un vaste dortoir pour ces apprentis plaisanciers.

Après onze ans de loyaux services, c’est un Anglais qui s’amourache de sa robuste coque, et décide de lui redonner une honorable vie à voile. Cela passe d’abord par un gros chantier de réfection. Adieu le mât en bois trop dégradé, bonjour l’acier. Un deuxième mât de tapecul est alors installé, ainsi qu’une barre à roues, et… un moteur ! Un sacré saut pour le Biche, qui s’élance alors dans le charter touristique, en Manche principalement.

En 1991 semble sonner l’heure de la retraite, pour ce vénérable thonier de 57 ans. Le Musée du Bateau de Douarnenez rachète ce dernier survivant de sa génération, décimée par la seconde guerre mondiale et la motorisation à tout prix. Mais les finances pour sa réfection manque, et en 2003, le voilà placé dans la vasière de Port Rhu, le condamnant à une mort lente, mais sûre.

C’était sans compter la vitalité des amoureux du patrimoine maritime de Groix, et des vieux gréements en général. L’opération « Il faut sauver le soldat Biche » est lancé, et l’association Les Amis du Biche se crée. Remis laborieusement à flot, le thonier a perdu de sa superbe, mais le projet de restauration finit par convaincre des mécènes, et des premiers travaux y sont engagés à Brest. En 2006, le remorqueur militaire Alcyon le rapatrie à Lorient. Après deux ans d’attente pour trouver les financements, ses bénévoles lancent sa vaste cure de jouvence en 2009, dont le Biche sortira rutilant en 2012.

Le versatile Biche est désormais un touche-à-tout, capable d’accueillir 16 personnes en navigation de plusieurs jours, 30 en navigation à la journée, et 70 en réception à quai. Grâce à lui et aux 200 bénévoles des Amis du Biche, des milliers de Lorientais et de touristes ont pu découvrir le bonheur de la navigation, dans les règles de l’art. En 2022, comme un pied de nez à l’obsolescence programmée, l’increvable voilier s’est même offert le luxe de deux transatlantiques, et d’un séjour sous le soleil antillais. Avant de revenir, sans encombre, à son port d’attache lorientais.