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Bien malheureux celui qui s'aventure à Lorient et demande à un passant la direction du port, car il se verra prestement répondre « Lequel ? » avec une pointe d’amusement. Six ports : voilà ce qui fait de la ville morbihannaise un endroit unique en France, concentré d'activités maritimes à nul autre pareil. Mais les connaissez-vous si bien que ça ?

 LE TRANSPORT PASSAGER, CAP VERS L'ICI ET L'AILLEURS

C’est un pointillé de terre qui barre l’horizon lorientais, un galet de granit poli par les vagues, un petit bout de Morbihan oublié en mer. Depuis que les Vénètes ont décidé d’y poser leurs celtiques bagages, voilà plus de 2000 ans, l’île de Groix a toujours été habitée. Et si les insulaires qui la peuplent ont montré de tout temps leur farouche attachement à l’autonomie du « caillou », il a fallu tout de même organiser, au fil des siècles, cet indispensable lien avec le continent. Pour acheminer matériel et victuailles bien sûr, mais surtout les humains qui en font le cœur palpitant. C’est ainsi que naît le quatrième port de Lorient, celui du transport de personnes.

Pieds mouillés et vapeur 

La première trace d’une liaison maritime régulière entre Lorient et les îles bretonnes remontent au XVIIe siècle. Parcourant les huit milles marins qui forment « les Coureaux », la Jeanne, fier esquif du groisillon Joseph Simon, assure ce service – sans garantie de ponctualité toutefois, nous sommes avant tout sur un bateau de pêche et le bar sauvage aura toujours priorité.

Un siècle plus tard, c’est le « Père Mille-Mailles » qui assure la navette pour passager et prend en charge le courrier sur sa chaloupe. A marée basse, quand le voilier s’échoue sur la plage de Port-Mélite faute de profondeur pour entrer à Port-Tudy, le capitaine retrousse son pantalon et prend sur son dos ses passagers, l’un après l’autre, pour les déposer sur le sable sec. "Vous avez payé, leur disait-il, vous n'avez pas à vous mouiller les pieds ".

 

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Mais malgré son sens du service, le passeur à voile ne put résister à la concurrence technologique, et l’arrivée des bateaux à vapeur. En mai 1873, la silhouette du « Tony », propriété de la toute jeune « Compagnie des Vapeur Port-Louisiens », débarque dans la rade de Lorient. Pendant plus de vingt ans, ce navire de 18 mètres de long construit aux chantiers de Chantenay sur Loire a transporté groisillon et groisillonnes, grâce notamment à ses 80 CV de puissance. On l’emprunte pour aller au marché, régler ses affaires chez le notaire, ou vendre sa propre production. Et devant le succès de la liaison, Port-Tudy est enfin aménagé pour recevoir les navires.

Vedettes de rade

Le 9 juin 1901, Groix se dote de sa propre compagnie de navigation, l'Union Groisillonne, et met en chantier, grâce à une souscription de 93 000 francs-or ouverte aux groisillons, un vapeur de 25,2 mètres. « L'Ile de Groix » et sa cheminée couleur chamois arrive à Port Tudy, bénie par le recteur de l’île en personne, devant une foule considérable. C’est qu’avec sa chaudière à charbon et ses 200 CV, il ne passe pas inaperçu ! Il peut faire traverser à une vitesse de 10 nœuds pas moins de 125 passagers, et 24 tonnes de frêt – dans un confort inédit pour l’époque.

 

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La concurrence est rude entre les deux compagnies maritimes, si bien qu’elles finissent par fusionner en 1905, pour former l'Union Lorientaise Groisillonne et Port-Louisienne (ULGPL). Pour Lorient, c’est un nouveau pan de l’économie qui se met en place. Pourquoi ne desservir que les îles quand on peut aussi assurer des liaisons dans la rade ? En 1930, jusqu’à 18 vedettes assurent simultanément le service d’une rive à l’autre. Les Lorientais s’habituent à ces croisières du quotidien, devenues, moins d’un siècle plus tard, une norme pour traverser la ville et échapper aux embouteillages. Aujourd’hui, des rotations ont lieu toutes les 7 minutes, et plus de 700 000 Lorientais embarquent pour ces mini-croisières en « batobus », parmi les moins chères au monde assurément !

Bien sûr, le transport passager aura connu tout de même quelques revers de taille à Lorient. La seconde guerre mondiale met à mal les services, du fait de la réquisition par les Allemands de tous les navires de transport. Avec sa coque métallique, « l’île de Groix » devient inutilisable à cause des mines magnétiques. Une pinasse en bois fera la transition pour quelques années, mais quelle régression pour le confort des passagers !

 

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Renaissance touristique

Après-guerre et avec une flotte décimée, l’ULGPL est confrontée à de graves difficultés financières. Elle est liquidée en 1969, remplacée par l'Union Lorientaise et Groisillonne (ULG), puis la Société Morbihannaise de Navigation, et enfin, en 2008, par la Compagnie Océane, filiale de la multinationale Transdev.

Chaque année, celle-ci transporte sur ses 5 à 10 allers-retours par jour quelque 1 600 000 passagers, ce qui représente, après les liaisons Corse–continent, un des plus gros trafics maritimes de personnes en France. Si les groisillons et groisillonnes utilisent bien sûr toujours le service, ce sont toutefois les touristes qui remplissent désormais majoritairement les bateaux, assurant ainsi environ 70 % de l’activité économique de l’île.

 

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Aujourd’hui, c’est aussi vers le tourisme que se tourne Lorient pour développer son activité de transport de passagers. Seul port en eaux profondes entre Brest et Saint-Nazaire, la rade permet à des bateaux allant jusqu'à 240 mètres de long de s’arrêter de quelques heures à quelques jours… L’opération-séduction des gigantesques paquebots de croisière commence dès les années 2010, et s’avère payante. En 2023, huit escales de bateaux de croisière sont d’ores et déjà programmées à Lorient, avec plus de 10 000 passagers attendus, majoritairement Américains.

Les tours opérateurs proposent aux croisiéristes des visites des plus beaux sites de Bretagne : Carnac, Saint-Cado, Saint-Goustan, Josselin, Pont-Aven, Quimper… Et, bien sûr, les sites historiques de Lorient, dont ses ports aussi uniques que variés, qui incarnent plus que jamais l’ouverture de la ville sur le monde, tant pour explorer de nouvelles destinations que pour maintenir le lien millénaire avec ses plus beaux joyaux îliens.

 

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Carte d’identité :

  • Sept lignes maritimes – dont deux estivales - desservent Lorient et les communes alentour, empruntées chaque année par plus de 700 000 passagers.
  • Depuis le 1er juillet 2016, le prix de l’abonnement des transports collectifs (bus et bateau) sur le territoire de Lorient Agglomération est calculé en fonction des ressources de l’usager. Lorient Agglomération supporte 80% du coût réel du transport.
  • 45 minutes, c’est la durée moyenne du trajet qui permet de relier Lorient à Groix.
  • En 2022, le port de commerce de Lorient a accueilli 6 paquebots de croisière, soit 1 995 passagers en majorité de nationalité américaine.
     

PATRICK, UNE VIE COULEUR COUREAUX

Il faut se mettre sur la pointe des pieds, dans le coin droit de la chambre. Passer du regard le méli-mélo des toits d’ardoise pour enfin distinguer un triangle bleuté qui embrasse le ciel. « Vue mer, c’est tout ce que j’ai demandé à l’agent immobilier quand on a acheté, il y a trente ans », sourit Patrick, 87 ans, dont « au moins 80 passés sur l’eau ».

Quand il naît un jeudi d’orage sur la table de cuisine familiale à Lorient, sa tante s’exclame : « il a les yeux couleur Coureaux, espérons qu’il n’en ait pas le caractère ! » A-t-elle influencé de son bon mot le destin d’un garçonnet ? Ses yeux, en tous cas, ne changeront jamais de couleur.

Après une enfance sous les bombes, Patrick quitte vite les bancs de l’école – « pas de fenêtre dans la salle de classe, j’aurais jamais pu tenir » - pour aider son père, caseyeur taiseux mais « d’une gentillesse infinie, et avec une connaissance incroyable de l’océan ». A 18 ans, il rêve pourtant d’autres horizons, et de bateaux « plus gros, plus technos ». Il s’engage alors dans la marine, et sillonne les mers du monde. Mais après quinze ans d’aventure, la nostalgie lorientaise se fait ressentir.

A l’époque, les emplois ne sont pas légion dans la région. Patrick a sa technique. Tous les jours, il va à la capitainerie offrir ses services. A l’usure, et vu ses états de service, son entêtement paie : la voilà à la manœuvre sur le pont du Jean Pierre Calloc'h, « un roulier flambant-neuf de 34 mètres 70, qui pouvait embarquer 350 passagers, et une quinzaine de voitures ». Chaque jour, il parcourt les fameux Coureaux jusqu’à Port-Tudy, pour y déverser son flot d’îliens et de continentaux. « Le rythme était intense, il fallait sans cesse charger et décharger, dans toutes les conditions, peu importe le jour de l’année. » Balancer la machine, larger la pointe, en avant sur la garde descendante, « clair derrière », cap sur la sortie du port une fois dans l’axe des jetées… et répéter l’opération.

De ses trente-sept années embarquées, Patrick garde autant le souvenir de chaque bouées et cailloux que ces visages familiers qui faisaient la traversée quotidiennement. Les travailleurs aux mines fatiguées, les lycéens qui partent pour l’internat et sur qui il faut bougonner quand ils mettent les pieds sur les sièges, les familles qui se retrouvent avec émotion sur le quai. « Le bateau, c’est un peu comme un cordon ombilical. On faisait un vrai service public humain et on se sentait utile », explique celui qui aimait autant les quarts du matin que du soir. « Les couleurs, les lumières, les saisons : c’était impossible de s’ennuyer en faisant ce métier ! Parfois, on se faisait drôlement secouer ! »

Son plus beau voyage ? Facile : celui où il a rencontré celle qui allait devenir sa femme. Joséphine a 29 ans, est infirmière. Patrick bafouille au moment de lui prendre son ticket ; elle lui fait un compliment sur la couleur de ses yeux. « Après ça, on ne s’est plus jamais quittés, jusqu’à sa mort il y a sept ans ». Depuis, le marin reste à quai, en attendant de la rejoindre. « Ça va être compliqué de trouver un paradis plus joli qu’ici, mais je suis sûr qu’on se trouvera un petit coin sympa ». Avec vue mer, bien sûr.